Le marché mondial du cacao traverse depuis fin 2023 une phase de forte volatilité caractérisée par une fluctuation spectaculaire des prix. En janvier 2023, la tonne de cacao cotait à 2 600$. Après une hausse continue, le cacao démarrait 2024 à 4 200$ la tonne, soit une hausse de 61,54% en un an. Ce n’était que le début : en quelques semaines, le cours du cacao atteignit un premier sommet à 11 900$ la tonne en avril 2024. Principal ingrédient du chocolat, le cacao a augmenté de 357% en moins de 24 mois. Plusieurs variations importantes eurent lieu par le passé, au gré des récoltes, de la spéculation et de l’instabilité politique des pays producteurs, mais jamais dans de telles proportions. Depuis, le cacao oscille entre 6 700$ et 12 900$ la tonne. Aujourd’hui, en février 2025, le cacao culmine à 8 900$, après une baisse de plus de 11% en une journée : cette volatilité du cours et ces variations quotidiennes sont inhabituelles.
Trois facteurs expliquent cette hausse : le climat, la production et la spéculation. D’abord, une mauvaise récolte en Afrique de l’Ouest, qui concentre environ 70 % de la production mondiale. La Côte d’Ivoire et le Ghana en concentrent à eux deux 60%. Le prix du cacao est très dépendant des productions de ces deux pays et de leur stabilité politique. Des conditions climatiques défavorables – sécheresses, inondations et phénomènes liés à El Niño – ont réduit les volumes récoltés. En Côte d’Ivoire, on constate une baisse de 25 % de la production, aggravée par la propagation de maladies telles que le virus de l'œdème des pousses du cacaoyer. Au Ghana, des pluies excessives et le développement du mildiou ont conduit à une révision à la baisse de la production. Ces aléas climatiques, combinés à des pratiques agricoles intensives ces dernières décennies (monoculture, usage excessif de pesticides, déforestation et non renouvellement des cacaoyers vieillissants), fragilisent durablement le secteur.
Parallèlement aux contraintes physiques, le marché du cacao est fortement influencé par la spéculation sur les contrats à terme négociés à Londres et à New York. Ces marchés permettent aux négociants de se couvrir contre la volatilité. Leurs profits dépendent notamment du « différentiel pays » – l’écart entre le prix d’achat à l’origine dans le pays et le prix de vente sur le marché. Les petits agriculteurs, incapables de recourir à de tels mécanismes, subissent directement les fluctuations du marché et ne bénéficient pas pleinement de la hausse des cours. Enfin, la volatilité est telle que des acteurs financiers ont investi massivement dans le cacao, amplifiant les mouvements de prix.
En face, la demande est toujours forte et en croissance dans les pays consommateurs de chocolat, principalement en Europe et en Amérique du Nord. Une hausse de la demande et une baisse de la production entraîne alors une hausse des prix très importante. Les acteurs du secteurs, industriels comme artisans, ont commencé à répercuter la hausse dès 2023, progressivement. La situation perdurant, les augmentations de prix devraient s’accélérer en 2025.
A l’avenir, deux scénarios sont possibles. Premier scénario, un maintien des prix élevés. Les prix du cacao resteraient haut, conséquence d’un changement climatique durable. Ce serait la fin du cacao « pas cher ». Deuxième scénario, un retour de à la (quasi) normale. Dès lors que la mauvaise récolte sera passée, le marché retrouvera son cycle habituel. Les prix, qui incitent actuellement les producteurs à investir, à planter, tailler et fertiliser, pourraient, après une phase d’absorption du déficit, s’effondrer à nouveau.
Cette situation n’est tenable pour aucun des acteurs, à commencer par les pays producteurs. Le marché du cacao est très concentré, avec 5 entreprises qui achètent 70% du cacao mondial. Le secteur productif est quant à lui très atomisé : on dénombre 5 millions de petits producteurs de moins de 10 hectares. De tels prix sont incompatibles avec la demande actuelle : une baisse de la demande correspondrait à un ajustement de la production. Ce serait la fin de nombreuses exploitations familiales non préparées à de tels changement, et donc source de pauvreté et d’instabilité régionale.
Il est difficile d’anticiper quel scénario va se réaliser. L’augmentation à prévoir de la production dans d’autres régions du monde (en Asie, au Vietnam, en Amérique du Sud par exemple) pourrait rééquilibrer l’offre et sécuriser les approvisionnements. L’emploi de méthodes telles que l’agroforesterie permettent à des exploitations de se pérenniser. La demande quant à elle, hors augmentation durable des tarifs, ne devrait pas se tarir : le chocolat, produit plaisir par excellence, figure parmi les denrées alimentaires les moins concernées par les baisses de ventes en période d’inflation.
Sources
https://www.uncommoncacao.com/blogs/uncommon-cacao/what-is-going-on-with-cocoa-prices
https://agence-api.ouest-france.fr/article/crise-du-cacao-une-opportunite
Christophe Eberhart (LinkedIn)